Un reflet dans le miroir (les jours suivants)

Mais je n’ai pas le temps de lui répondre qu’il me raccroche au nez, je suis à bout de nerf, je dois me procurer les avis de décès, fouiller la vie privée de ma propre famille pour enfin savoir ce qu’il se passe. Je n’ai pas trouvé d’avis de décès me concernant, heureusement, mais j’ai trouvé un article de journal faisant mention de la greffe qu’avait subi la fille de l’imminent professeur Laurent dans une clinique privée en Suisse. Assise sur l’unique chaise de l’hôtel ou je viens de me réfugier, je passe en revue ma vie, je ne me souviens nullement d’avoir été hospitalisée.  Bien entendu il y a cette fille, possible qu’elle soit réellement ma sœur, mais alors c’est elle qui a dû être hospitalisée. Finalement j’aurais dû rester dans ce château je ne serais pas là à me forcer les méninges, je sens que la folie me guette. L’autre aurait profité de moi, mais au moins j’aurais pu croire que mon père me faisait rechercher alors que là je suis orpheline. Je tombe épuisée sur le lit qui grince et m’endort d’un sommeil peuplé de cauchemars.

Quand je me lève le matin, je sais que je suis Rebecca, je me suis raccrochée à l’espoir que j’étais cette fille vue à sa fenêtre, mais c’était impossible. Lorsque j’ai mis les yeux sur sa thèse je n’ai absolument rien compris. C’est du chinois pour moi, lorsque mon père m’a vu, de suite il m’a dit, enfin tu es revenue Marion, j’ai eu l’impression qu’il voulait me dire quelques choses mais il s’est ravisé et ne m’a rien dit. Aussi je me suis bien gardée de lui dire que je n’étais pas Marion, mais par contre j’ai réussis à le convaincre que cette Rebecca existait bien et qu’elle me voulait du mal. Il m’a semblé gêné mais à nouveau le silence s ‘est installé entre nous. Je ne l’ai pas rompu. J’avais le téléphone de l’autre la fille au déshabillé noir, j’ai appelé ses amis, et ils m’ont rejoint à Deauville et c’est là que j’ai annoncé à tous que j’abandonnais mes études. J’ai cru que mon père tombait à la renverse, mais sur le coup il n’a rien dit, mes amis étaient étonnés mais personne ne m’a dit que je faisais une bêtise. Nous avons continué de nous ébattre dans la piscine, et le soir même en revenant d’une boîte branchée sur Deauville je me donnais à ce bourgeois de Romain, il m’avait dragué ouvertement toute la soirée, et c’est bien normal que je finisse dans son lit. Je me suis sauvée au petit matin, le laissant nu sur le lit de sa garçonnière, un peu étroite la couche, mais pour faire ce que nous faisions c’était bien suffisant. Mais avant de rentrer au bercail sur Paris il me fallait téléphoner à José pour voir ce qui se passait avec l’autre. J’étais perplexe il ne me répondait pas, je n’avais pas le temps d’y aller mais j’appelais son frère afin qu’il se rende sur place, je lui donnais le numéro de Marion, la vraie afin qu’il puisse me dire ce qu’il se passait, mais en rentrant à la maison j’allais rapidement comprendre. Celle dont j’usurpais la vie s’était échappée, elle avait refait surface et essayait de monter notre père enfin l’homme qui était mon père pour l’instant contre moi.

L’imminent professeur m’explique ce que Marion lui a dit : «  Papa tu as reçu un coup sur la tête, je suis Marion. On t’a fait un lavage de cerveau, c’est impossible que tu ne me reconnaisses pas, tu es venu avant-hier me chercher au 36 quai des Orfèvres, tu m’as rapporté ma robe noire. Tu étais étonné que je sois en déshabillé. »

 Alors je me décide à poser des questions  au Maître de la Sorbonne :

  • Papa je sens bien que tu me caches quelques choses qui est Rebecca ?

Mon père ou soi-disant tel, bafouille, pâli et tourne les talons en me disant, moins tu en sauras mieux tu te porteras..

Lorsque Rebecca a quitté les lieux, je sors de mon réduit et quitte la maison de mon père et sort dans la rue, la voiture de Grâce n’est plus là. Je suis seule complètement seule et je ne sais pas qui je suis. Je me sens tomber dans un puits sans fond, je ne crie même pas, je sens même pas la chaussée pourtant je me tape la tête puisque je vois une tache de sang s’écouler sur la route. Après c’est le trou noir, j’entends plus que je ne vois les pompiers, mon père est affolé, tiens je croyais que je n’étais pas sa fille, décidément tout s’embrouille dans ma tête. Je suis déposée avec délicatesse sur un brancard, puis je vois de longs couloirs blancs avec des lumières au plafond, enfin ceux qui me poussent s’arrêtent, j’entre dans une salle là les lumières sont encore plus vive, mais je n’arrive pas à ouvrir les yeux, je sens qu’elles sont braquées sur moi. J’entends des voix inconnues affirmer que je suis dans un sale état. Je n’ai que l’arcade sourcilière de péter, ce n’est tout de même pas la mer à boire. Ce n’est pas si grave. Puis je tombe dans un lieu de douceur, on dirait du coton, je ne sens plus rien, enfin je vais pouvoir dormir.

Je me revois chez mon père cachée dans son placard, j’entends cette Rebecca parler, faire comme si elle était moi, je n’arrive pas à crier, où plutôt je me vois crier mais je n’entends même pas ce que je dis, je suis invisible pour eux, inexistante, pourquoi? Que leur ai-je fait ? Alors je pleure sur mon sort, et espère qu’un miracle va se produire, mais rien, je suis, mais où suis-je exactement ? Je suis allongée dans un lit qui n’est pas le mien, quelqu’un me tient la main mais je ne sais même pas qui est cette personne, pourvu qu’enfin on me parle, je ne suis pas un légume, je suis vivante même si je ne peux pas leur parler, je suis vivante, j’entends comme un écho qui se répercute au loin, mais rien personne n’entends mon cri.

J’ai dû m’endormir, car je n’ai plus de souvenirs, j’avais des tuyaux de branchés, je respirais avec une machine, ils me les ont enlevés, j’ai entendu celui qui me semble être un médecin dire qu’à ce stade il ne peut rien faire juste attendre. Mais attendre quoi ? A nouveau un léger froissement, une main et une bouche chaude qui me susurre des mots ; j’entends sans vraiment comprendre :

  • Marion si tu m’entends, « bien entendu que je t’entends » tu n’as pas besoin de t’accrocher à la vie, je suis là je vais te remplacer, tu as vécu 25 ans je prends le relais maintenant, chacun son tour. «  Mais je ne veux pas, c’est cela que je lui dis, mais elle ne m’entend pas, chacune de notre côté on se parle, ce n’est pas un dialogue c’est un monologue. »

Puis à nouveau du bruit et plus rien, des visites j’en ai, des copains de la Sorbonne marche à pas de loup, mais j’entends tout y compris les bruits que l’on n’ose faire. Je sais que mon père passe une partie de la nuit à mes côtés. Et, au matin il s’en va et je suis seule avec mes douleurs à la tête. On me pique, on me soulève, me tourne, ceux qui me font ça parlent entre elles et disent pauvre fille, elle avait la vie devant elle, et maintenant elle est un vrai légume. Une autre ajoute, mais elle vit sans  aide respiratoire, elle mange certes avec une sonde  mais elle vit, un jour a dit le professeur elle se réveillera où jamais comme dit son frère. C’est triste, il serait préférable qu’elle meurt.

  • Non je ne veux pas mourir, je veux vivre, d’ailleurs je suis vivante c’est juste que vous ne m’entendez pas, je suis de l’autre côté de la porte, dans un autre monde, c’est comment dit-on surnaturel. Aidez-moi, ne faîtes pas comme si j’étais déjà morte ; j’ai la rage, j’aimerais qu’elles m’entendent, mais à nouveau elles s’éloignent et je me retrouve seule face à moi-même. Je sens une présence, je ne veux pas que ce soit Rebecca, comment le faire comprendre ? Oui, comment ? Mais quand j’entends la voix je sais que c’est un homme, il a une belle voix langoureuse, je le sens bien, il me lit le journal, c’est incroyable je ne pensais pas que nous étions au mois de mai. Depuis combien de temps je suis dans ce lit ? Et qu’elle en est la raison ? Que m’est-il arrivé ? Il semblerait que je donne des signes de vie à celui qui est auprès de moi, car je l’entends crier :
  • Professeur Marion a bougé ; «  et là à nouveau il y a du bruit, on écoute mon cœur, on me soulève les paupières, j’essaye de toutes les forces de bouger ma main, ah enfin l’interne a l’air de comprendre il me demande de lui serrer la main, je serre de toutes mes forces, mais ce n’est qu’une illusion puisque je l’entends dire :
  • Il me semble que j’ai sentis un léger frémissement, Professeur je sens que bientôt nous verrons ces beaux yeux myosotis.
  • Vous ne seriez pas tombé amoureux ?

J’attends, mais il esquive sa réponse au médecin, c’est un malin, il ne dira rien devant son patron, enfin je ne sais pas qui est réellement cet homme. Un autre docteur, un infirmier. Rien j’ignore tout. Il n’y a que Rebecca qui me poursuit de ces assiduités, tous les jours elle me pousse plus loin, tous les jours je me retiens pour ne pas tomber. Du reste je me demande si ce n’est pas elle qui m’a poussé hors du lit, maintenant j’ai les idées un peu plus claires, je n’étais pas sur la route, j’étais déjà là et j’ai basculé du lit, d’ailleurs le professeur a disputé, oh non vraiment engueulé une femme qui me semble n’en menait pas large, elle avait oublié de remettre les barrières à mon lit et je serais tombée sur le sol et me serais tapée la tête. Cela me revient doucement, pourtant il y a à peine dix minutes je pensais avoir eu un accident, mais il est possible que c’était il y a bien plus longtemps. Il faut que je me souvienne, j’ai commencé à aller mieux dans ma tête aussi bizarre soit-il c’est le jour où je me suis blessée. Un choc salutaire, mais j’ai toujours pas retrouvé l’usage de ma voix, ça je l’ai bien compris, ni celui de bouger mes mains et mes jambes, encore moins de manger. Comme je me sens fatiguée je vais me laisser aller et dormir. Je ne fais que ça et pourtant je n’ai envie que de faire une seule chose c’est vivre, courir, danser, nager, être avec mon père, mon frère, mes amis, mais ne plus jamais revoir cette Rebecca. A moins qu’elle puisse m’aider, car il faut qu’elle me ramène à la vie, je sens qu’elle n’est plus de ce monde et qu’elle veut m’entraîner dans un monde souterrain, un monde parallèle.

 

A suivre…

Auteur : Eva Joe

Ma plume ne s'essouffle jamais, elle dessine des arabesques sur la page de mes nuits, elle se pare comme un soleil en defroissant le ciel. En la suivant vous croiserez tantôt Pierrot et Colombine dans mes poèmes ou Mathéo et son secret et bien d'autres personnages dans mes nouvelles et mes suspenses.

6 réflexions sur « Un reflet dans le miroir (les jours suivants) »

  1. Bonsoir Evajoe,

    Tu nous embrouilles diaboliquement! 🙂 Cette pauvre Marion semble clouée sur un lit d’hôpital, ou de clinique, dans un état comateux. C’est terrible cette description que tu fais. C’est comme si elle était en prison à l’intérieur d’elle-même. Et l’autre, la voleuse de sa vie, qui la pousse vers le désespoir, vers l’abandon de la lutte. C’est intéressant et très troublant.
    Gros bisous
    😉

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