L’enfant de personne/21

Ce sera la première fois que les vendanges se feront sans Paul.

Pierre qui fait un stage à l’hôpital de Nantua est venu nous apporter de l’aide accompagnés de ses fidèles lieutenants José et Félix. D’autres du maquis de l’Ain sont aussi venu.

Au début l’ambiance était au plus bas, puis ma belle-mère le premier soir les a tous réunis en leur disant:

– Si Paul était là il aimerait vous entendre chanter. Ne baissons pas les bras les vendanges s’annoncent merveilleuses. Et j’aurais besoin de beaucoup d’entre vous pour écraser le raisin. Nous pratiquons une méthode ancestrale depuis que le grand-père de Paul a acheté cette vigne. Bon appétit et reposez-vous bien.

Lorsque ma future belle-mère a achevé son discours improvisé tous sont spontanément venu l’embrasser. La famille Doumer qui avait fuit l’Allemagne nazie avait rejoint le domaine car entre deux guerres ils correspondaient avec Paul. Juifs c’est tout naturellement que Paul leur avait offert l’hospitalité dans une cachette connue de lui seul. Moshé était viticulteur en Saxe et commercialisait un vin pétillant appelé en français » Le petit chaperon rouge » à cause de son bouchon rouge. ( Véridique). Il serait d’un très grand secours.

Sa femme Sarah aidait Marianne en cuisine. Ils avaient deux enfants, deux garçons de 10 et 8 ans, mais avaient recueilli deux jeunes dont les parents n’étaient jamais arrivés à la ferme. Une fille de 14 ans nommée Anna et son frère de 17 ans David. Eux aussi aidaient pour ramasser le raisin.

Alors que mon père était reparti sur Saint-Etienne voulant connaître le sort qui avait été réservé à son amie d’enfance, nous apprenons qu’en gare d’Oyonnax un train arriverait dans l’après-midi depuis la Suisse. Il y aurait à son bord certains du maquis du Bugey que les Allemands auraient abandonné à leur sort après la chute des villes de l’Ain et du Jura. Ne voulant rien dire à la mère de Pierre nous partons accompagnés de Félix , Moshé et David sur Oyonnax distant de 26 km.

A l’arrivée il y a une foule énorme. Des femmes, des soeurs, des familles, des anciens résistants. Pierre n’en finit pas d’embrasser des hommes et des femmes. Certains me disent :- C’est vous la femme à la robe jaune et ils m’embrassent. Je dois être rouge comme un coquelicot devant ses hommes qui ont affronté les Allemands. Porté cette robe c’était juste pour accompagner un SS et il fallait que ce soit crédible.Je ne pouvais pas voyager avec ce vêtement surtout en voyant les regards couroucés de certains voyageurs.

Mais finalement je suis bien contente qu’ils se soient cassé les dents sur ma robe jaune. Mais ces jeunes sont persuadé que j’ai servi d’appât en mon âme et conscience. je ne me prends nullement pour une héroïne. Mais Pierre me dit laisse tu rentreras dans la légende. Et je le vois sourire.

Enfin le train est annoncé quai Numéro 2. Faut-il traverser les voies ou attendre vers la sortie ? Pierre se décide et demande à Félix et Moshé de rester à la sortie au cas où on le manquerait si par un heureux hasard il était dans ce train. Et c’est accompagné de David que nous nous dirigeons vers le quai. C’est un wagon à bestiaux. Le même qui les avaient emmené en Allemagne, c’est ce que dit la foule qui attends dans un silence impressionnant. Soudain un homme en blouse blanche s’approche de Pierre. C’est son chef de service, il lui demande de venir l’aider car il y a beaucoup de malades, de personnes déshydratées. Il y a aussi des blessés par balles et des résistants torturés ayant encore des blessures qui se sont infecté.

Un silence de mort s’installe sur le quai lorsque descendent les premiers survivants du train. Ils sont debout mais dans un état lamentable. Certains s’affaissent épuisés sur le quai. Les brancards et les bras ne sont pas assez nombreux. Aussi Pierre monte sur un des wagons et demandent à ceux présents sur le quai soit de s’en aller dans le hall de la gare soit de soutenir ceux qui arrivent. Aucune des personnes ne s’opposent aux paroles de Pierre. Ceux qui ne peuvent pas aider s’en vont. Je préfère m’en aller je ne suis pas d’un grand secours. Par contre Moshé reste.

Il va s’écouler plus de trois heures avant que nous voyons réapparaître Moshé suivi de Pierre. Ce dernier est pâle à faire peur. Il.s’asseoit à même le sol et nous raconte l’insoutenable vision d’horreur qu’il a eu lorsqu’il est entré dans le wagon ou gisaient pêle-mêle ceux de son réseau et surtout de son père couché sur la cuisse de son frère d’armes son bras droit dans son réseau. C’est le médecin chef de l’hôpital de Nantua qui m’a secoué par l’épaule tant j’étais tétanisé devant les morts et les rares survivants du dernier wagon. Sur 40 seuls trente sont vivant mais dans un sale état. Nous ne nous sommes pas attardé à vérifier ce que chacun d’entre eux avaient, tous ont été dirigé sur l’hôpital d’Oyonnax, pour mon père j’ai demandé à ce qu’il soit amené à Nantua. Mon patron ne s’y est pas opposé, il m’a dit qu’importe l’hôpital votre père est entre la vie et la mort. Allez rassurer les vôtres, je vais d’abord l’examiner et revenez avec votre mère dès cette nuit. Pierre est dans mes bras il pleure comme un enfant. Puis, essuyant ses larmes il dit mon père s’est toujours battu. On va bien l’entourer il va s’en sortir j’en suis sûr il ne peut pas mourir alors qu’il est de retour chez nous.

Nous sommes de retour à la ferme, Mariane est auprès de son amour. Les vendanges se sont achevé. Mais personne n’est rentrée chez eux. Tous espèrent que Mr Paul va s’en sortir. Ils donnent différents coups de mains. Et tout naturellement ils se relaient à l’hôpital pour que Marianne puisse se reposer. Cela fait quinze jours que Paul est à Nantua. Il a une jambe de cassé ainsi qu’un bras. Différentes plaies et contusions un peu de partout mais ceci est en train de guérir. Par contre sa main droite est salement endommagée. Le chirurgien hésite à l’amputer. De plus Paul est dans le coma on ne peut pas avoir son accord. Tout repose sur les épaules de Pierre, il m’en a parlé ce matin. Je ne sais si j’ai été d’un grand secours mais je lui ai dit :

– Imagine que ce ne soit pas ton père mais un patient inconnu qui arrive dans ton service, en ton âme et conscience que ferais-tu ? Il a réfléchi et m’a dit :

– J’informerai ceux de sa famille et je leur dirai qu’il est préférable qu’il soit amputé.

-Et bien parles avec ta maman et donne lui toutes les raisons pour laquelle il est préférable que ce soit fait. Tu m’as dit que ton père était gaucher, or c’est de sa main droite qu’il s’agit. Et puis ton chef de service t’as bien dit qu’il lui mettrait un crochet en attendant que la science avance.

– Pourquoi es-tu ma bonne fée, qui me donne toujours de bons conseils ?

-Parce que je t’aimes grand nigaud.

Nous étions dans la chambre de mon beau-père, il était blanc, respirait normalement. Sa mère avait donné son accord. L’opération aurait lieu après-demain, le chirurgien était allé sur Oyonnax pour avoir un spécialiste des mains pour opérer. Dans l’après-midi alors que nous attendions le retour du chirurgien et de l’éminent professeur qui arrivait de Paris, Marianne nous a appelé.

– Dis-moi Pierre je n’ai pas rêvé ton père bouge bien ses cils. Pierre se penche et il est stupéfait son père le regarde et ouvre ses yeux.

-Papa

-Pierre

Tout le monde pleure, c’est Paul qui arrête nos pleurs, il nous murmure plus qu’il nous le dit à haute voix :

-Je suis vivant c’est l’essentiel pour le reste j’y arriverais.

-De quoi parles-tu Papa ?

-Je t’ai entendu en parler avec Magdeleine. Je sais que l’on doit m’amputer.

Nous étions stupéfaits, il était dans le coma et il savait ce qu’il allait se passer . Lorsque nous avons rapporté ces paroles à ceux restés à la grande maison, Félix s’est souvenu que son grand-père avait tenu ce même genre de propos quelques semaines avant de mourir. Sa mère s’était demandé s’il ne leur avait pas joué la comédie. Aujourd’hui il comprenait.

Un mois plus tard Paul est rentré à la ferme, il va mieux. Mais il a refusé de nous raconter ce qu’il s’était passé. Il a juste dit « Ce train est allé jusqu’au Struthof situé en amont du Rhin. On n’a jamais traversé le Rhin. Certains wagons se sont vidé. Et le nôtre n’a pas été ouverts. Puis le train est reparti. A un moment donné il s’est arrêté on entendait passer les avions. Les mieux portant appelaient au secours. Puis petit à petit nos forces ont diminuées. De temps en temps la porte s’ouvrait on nous donnait un seau d’eau. Je pense que si il y a eu si peu de morts dans notre wagon c’est parce que c’était la majorité de mon réseau qui y était. On s’est soutenu, entre aidé tout le temps où je suis resté conscient. »

Depuis Paul réapprend à vivre. A la place de sa main il a un crochet. La dernière de ses filles l’appelle  » capitaine crochet. »

« Ce matin j’ai annoncé à mes beaux-parents que j’attendais un bébé. La joie était sur tous les visages. »

Paul a juste dit, il va falloir vous marier mes enfants.

D’un commun accord nous décidons d’attendre l’année 1945.

Et surtout je veux que ceux de ma famille soit présent…

A suivre

Auteur : Eva Joe

Ma plume ne s'essouffle jamais, elle dessine des arabesques sur la page de mes nuits, elle se pare comme un soleil en defroissant le ciel. En la suivant vous croiserez tantôt Pierrot et Colombine dans mes poèmes ou Mathéo et son secret et bien d'autres personnages dans mes nouvelles et mes suspenses.

7 réflexions sur « L’enfant de personne/21 »

  1. Tu peins des scènes d’une telle vérité! On s’y croirait.
    Le Struthof. Mon père, lors de vacances dans la région, nous a emmenés à ce camp. Un souvenir poignant!
    G Bisous

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    1. Moi aussi en vacance en Alsace j’avais 11 ans, j’étais allée avec mes parents et ma sœur âgée de 9 ans en ai gardé un souvenir bouleversant et j’y ai emmené mon fils ainé age de 13 ans, je n’ai jamais pu en franchir le sol. Je tremblais. J’ai même fais un malaise.
      Mais mon fils et mon mari y sont allé.
      Mais même à l’extérieur j’étais mal à l’aise.

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      1. Ma sœur aussi a fait un petit malaise. j’ai dû rester avec elle dehors, pas loin de l’entrée. C’était très très dur cette visite. Je comprends mon père qui a tenu à ce que nous touchions de près, si je puis dire, l’horrible autre face de l’être humain.
        gros bisous!!!!!!!

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