Lumières dans la nuit/4

Il est plus de minuit lorsque Lucien dit aux enfants qu’il est temps d’aller se coucher. Et bien ils sont discipliné, aucun ne rechigne et ils nous disent bonne nuit.

Au cours de la soirée j’ai surtout discuté avec une des deux copines, elle vient toutes les années en vacances chez son père, c’est le Monsieur un peu trop curieux et qui manie les claques trop facilement. Le garçon est son frère mais lui était au collège à Aubenas, il doit réviser car il passe début juillet son brevet des collèges.

Une fois les enfants couchés, nous parlons surtout du village, abandonné par de nombreuses familles. La famille Pol y est resté car ils ont construit quatre maisons. La dernière est habitée depuis cinq ans par Monsieur la Baffe comme je vais me plaire à le nommer. C’est grâce à sa fille qu’il y est.

L’été elle venait garder les chèvres et les vaches non loin du château. Et elle a fait connaissance d’une jeune fille Sophie dont les parents relèvent les ruines d’une maison. Car sous la houlette de Lucien ils ont envie de faire revivre le village.

Apres une dernière bouffée tirée de sa pipe Lucienne ma grande tante se lève et tout en s’approchant de moi, me lance :

Tu iras proposé tes talents d’ébéniste aux parents de Sophie. Ils doivent recevoir des fenêtres. Cela t’occupera.

Et bien ma tante est une bonne meneuse d’hommes. Plus tard j’apprends qu’elle a été Chef d’entreprise dans une passementerie sur Aubenas. C’est une femme à poigne comme me raconte mon cousin. Il n’a pas envie de dormir, moi énormément mais je suis fair-play et discuter peut m’en apprendre plus sur les habitants du village et ma « nouvelle famille ».

Il est en arrêt de travail suite à une chute d’un toit. Il est couvreur. Décidément ce village va pouvoir retrouver sa jeunesse. Il est né ici mais a fait ses études sur Aubenas. Sa fille est sur Montélimar, elle se prépare à être Prof des écoles. En riant je lui dit :

Les habitants c’est bien pour les vacances, mais à l’année ce serait mieux.

Il faut d’abord avoir l’accord du département nous avons qu’une route en terre. Une piste comme disent les enfants.

Vous vous approvisionnez comment ?

Déjà nous vivons en autarcie, nous avons tous un jardin, ainsi que des arbres fruitiers, des poules, canards. Bref une basse-cour. Des chèvres, vaches. Deux cochons. Vers le château nous avons une cascade et nous avons mis un tuyau pour nous approvisionner en eau. Les jeunes l’été vont s’y baigner. Je le regarde avec un air stupéfait. Il rit et me dit c’est juste pour se doucher que nous récupérons l’eau. Le reste c’est l’eau de pluie. Puis il y a une canalisation en eau potable.

Un silence entre nous, le premier de cette journée vraiment nouvelle pour moi. Puis je vois mon cousin hésité et il me dit :

Xavier ne te méprend pas sur mes intentions mais depuis que tu as débarqué je me pose pas mal de questions à ton sujet.

Et bien vas y je me ferai un plaisir de te répondre.

Je vois sur son visage qu’il est soulagé, il triture sa moustache, se gratte le menton, puis se lance.

Le fils de Jean est parti le jour où sa mère à quitter ton grand-père, elle l’a emmenée en laissant ses deux filles à ma grand-mère et à ton grand-père. Ne voulant pas s’encombrer comme elle disait de gamines. Mon grand-père se souvient du chagrin de son oncle. Son fils était un petit garçon très sage, il avait 8 ans.

Une année est passée puis deux et un jour ta grand-mère est revenue pour voir ses filles. Elle était avec un type qui était artiste peintre, mais Guillaume ton père n’était pas avec eux. Ton grand-père a voulu savoir pourquoi elle n’avait pas amené son fils. Et selon mon grand-père, l’artiste peintre a dit : « quel fils » ?

Tu veux dire que mon père était soit mort soit … Je ne trouve pas les mots…

Placé, ta grand-mère a avoué à son ex mari qu’elle ne pouvait pas le nourrir et elle l’avait abandonné. Alors qui es-tu ?

Que dire devant cette histoire ? C’est triste pour Monsieur Jean. Tant pis je vais rester celui qu’il voulait que je sois. Son petit fils. Il va falloir que ma version toute personnelle sonne bien, sinon je serais un voleur, menteur, usurpateur… S’imaginer être un autre, ce n’est pas moi. Là c’est trop tard j’ai mis le doigt dans l’engrenage. Après ce que je vais leur raconter je ne pourrais plus jamais aller en arrière. Comme je leur ressemble. Je me lance.

Je t’ai laissé me raconter ta version des faits, moi j’en ai une autre.

Mon grand-père il y a plus de trente ans a retrouvé la trace de mon père, après de nombreuses recherches il a appris qu’il avait eu un fils

Comment vous a-t-il retrouvé ?

Il a su notre adresse et le jour où j’étais seul sans mes copains il m’a fait signe et c’est de cette manière que j’ai tissé des liens avec lui.

Sans rien dire à votre père

Je n’ai rien dit, c’était moi qu’il voulait connaître. Son fils il ne m’en a pas parlé, à 14ans on ne se préoccupe pas de ça.

De toutes façons tu lui ressembles à ton grand-père, tu es son portrait. Demain je te ferais voir la photo des cinq enfants Pol.

Ouf je m’en suis bien sorti. Heureusement qu’il n’a pas poussé trop loin car je me demande ce que j’aurais pu lui raconter. Par contre je ne comprends pas pourquoi je ressemble tant aux fils Pol, que ce soit mon grand-père ou même ses frères. Bon cette photo me donnera peut-être des réponses mais pour l’heure, je dois aller dormir. Je baille à me décrocher la mâchoire.

Je me lève et lui dit :

J’ai eu trois journées intenses et très peu dormi.

Il s’excuse et on se donne rendez-vous vers dix heures le lendemain. Avant de partir il me demande si je veux du lait, car il peut m’en apporter. Je lui commande un demi- litre.

Je te dois combien ?

Ce demi-litre c’est cadeau après je t’expliquerai comment tu vas participer aux frais.

Cela me va, bonne nuit.

Tu peux laisser ta porte ouverte, si tu dors je ne te réveillerai pas, je te le met dans ton frigo. Bonne nuit.

J’acquiesce en dodelinant de la tête car j’ai qu’une envie c’est dormir. J’ai choisi la chambre du haut, elle domine le village. Quand mes enfants seront-là, je prendrais la chambre de leur arrière grand-père.

Je viens d’être réveillé par un bruit étrange, dans un village désert un bruit de mobylette ne peut que me paraître bizarre. Je regarde ma montre, il n’est pas quatre heures. Il faisait chaud à l’intérieur et il y avait une légère brise ce qui m’avait donné envie de dormir les volets ouverts ainsi que la fenêtre.

Cela fait à peine trois heures que je dors et déjà je suis réveillé. Je me place derrière la fenêtre. Sur la gauche et en haut je vois le château que je dois visiter tout-à-l’heure. Et en face il y a quatre ou cinq maisons dont celle de la bergère.

Je vois des lumières qui passent de maisons en maisons, tiens qui se baladent à cette heure ? Mystère… Je verrais demain, mais je dois jouer en douceur. Si ce sont les deux grands de 15 ans qui s’amusent la nuit je ne veux pas que le frère de la bergère se ramasse une nouvelle claque. Discrétion, avec ce que j’ai découvert dans la sacoche en cuir je ne dois pas me faire remarquer. Je vais essayer de finir ma nuit.

Je sursaute lorsque j’entends tambouriner à la porte du bas, comme je dormais bien. Je descends quatre à quatre les marches. Je suis en tenue négligée, j’espère que ce n’est pas ma grande tante. Non c’est mon cousin, il m’avertis que la visite du château n’aura pas lieu aujourd’hui car il y a du grabuge dans la maison de l’amie de Sophie.

Quel grabuge ?

Tu vas déjeuner et tu me rejoins tu verras par toi-même.

Est-ce une impression où mon cousin me regardait bizarrement ? J’espère qu’il ne pense pas que j’y suis pour quelques choses. Je viens d’arriver je suis le suspect idéal. Cependant je n’ai qu’à lui dire que j’ai vu des lumières. Quoique je vais pour l’instant garder ça pour moi.

Apres m’être fait un bon café noir non sucré, pris une douche un peu plus fraîche qu’hier, je remets mon short et tee-shirt, une casquette et en avant. Je pars à la recherche de ceux qui sont sur les lieux du larcin.

J’ai beau tourner et regarder de ci-de-là je ne vois pas où ils se trouvent. Mon oncle arrive, me tape sur l’épaule et me dit :

Viens c’est par ici, mais il y a un pan de mur qui s’est affaissé et le chemin qui longe les deux maisons n’est pas visible, on attendra la fraîche pour déplacer les gravats. Là on va avoir une journée fort chaude.

Nous sommes obligés de prendre la route pavée qui descend vers la petite rivière pour nous retrouver de l’autre côté. En me retournant je ne vois pas la maison de Jean, je me demande si les lumières venaient bien de là, j’aviserais en revenant.

Et là je n’en crois pas mes yeux, chacune des fenêtres qui ont été livrées hier ont reçu un coup. C’est du travail d’amateur. En y regardant bien elles sont juste démonté. Je dis à mon oncle que je vais pouvoir réparer ce sabotage assez rapidement. J’avise Luc et son copain qui rigolent et leur explique ce qu’ils doivent faire. Avec leurs pères réciproques et moi-même le travail avance vite.

Puis nous entreposons les fenêtres à l’intérieur de la maison de Monsieur la baffe, car cela ne sert à rien de les mettre dans cette maison vu qu’elle n’a pas de portes.

Je ne vois pas l’amie de Sophie mais j’apprends par mon oncle qu’elle et Sophie sont descendu au village récupérer du pain, et de l’eau pour la fin de semaine.

Elles ont un véhicule ?

Oui un quatre quatre, si un jour tu en as besoin tu nous le dis, il appartient à la communauté.

Il faudra que je récupère mes valises sinon je n’aurais plus rien à me mettre sur le dos.

Cet après-midi il est pris, on va chercher deux familles qui viennent passer une quinzaine de jours mais demain ce sera bon.

Elles ont louées ?

Oui, deux maisons qui sont à des Hollandais et ils louent chaque année.

Et eux ne viennent pas ?

Si mais là c’est juin , les vacances n’ont pas vraiment commencées.

Oui, moi j’aurais mes enfants qui arriveront vers le 7/07. Comme la Région est mal desservie j’irai les récupérer à Aubenas où leur grand-mère maternelle me les amènera.

Je vois Lucien qui ouvre la bouche et la referme, je sais ce qu’il n’ose pas me demander. Mais pour l’instant je ne veux pas évoquer cette triste réalité. Lorsque mes enfants seront-là, j’y serais sûrement contraint mais pour l’instant il faut que je fasse ma place.

A suivre..

Auteur : Eva Joe

Ma plume ne s'essouffle jamais, elle dessine des arabesques sur la page de mes nuits, elle se pare comme un soleil en defroissant le ciel. En la suivant vous croiserez tantôt Pierrot et Colombine dans mes poèmes ou Mathéo et son secret et bien d'autres personnages dans mes nouvelles et mes suspenses.

5 réflexions sur « Lumières dans la nuit/4 »

  1. Des lumières baladeuses, une grand tante autoritaire… des hollandais en vacances… des questions qui se bousculent au portillon! En voilà de l’animation! 🙂
    Passe une bonne journée Evajoe,
    Gros bisous

    Aimé par 1 personne

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